jeudi 1 janvier 2015








À ma fille






 Ah, les ponts d'aujourd'hui sur les chemins du temps.

La Poterie, 30 novembre 1954,
une grande maison où je suis né,
 en Normandie 
Granie avait 32 ans, moi 22 mois
elle y vivait seule la plupart du temps.
Ce poème est le plus ancien
que je lui connaisse.



Vent d'hiver


Vent d'hiver, vent de misère
cesseras-tu d'assiéger ma maison
de tourmenter ma raison
de me tenir en éveil.

Trois jours durant et trois longues nuits
tu nous as torturées
moi et la vieille demeure aimée.
Accordes nous quelque répit.
Tu nous as tant lassées.

Tes bousculades sur mon toit
arrachant les tuiles brunies
et les mousses que le temps a tissées
avec des graines et de la pluie.

Tes bourrades font gémir
la charpente deux fois centenaire
et moi je veille en prière
pour que le chêne vermoulu
résiste aux attaques tortionnaires
de ce dément qui n'entend plus.

Pourquoi frapper, pourquoi faire peur
comme un homme qui a trop bu
aux volets de ma demeure
aux portes closes, aux carreaux nus.

Le portail rouillé geint dans ses gonds
pousse sa plainte le tout premier
et toute la bâtisse lui répond.
Moi je suis la course forcenée
et j'écoute pleurer ma maison.

Ailleurs c'est la lutte dans les branches violentées
de la longue file des peupliers
et je devine là bas dans le jardin mouillé
les pleurs des plantes effarouchées.

La chienne a fait le tour de la pelouse
afin de retrouver son petit.
Je n'entends plus sous ma fenêtre
son long soupir de bête jalouse
de n'être point près de mon lit.

Comme je pensais avec tendresse
à tous ceux sur lesquels je règne,
enfants, bêtes et plantes de mon domaine
le vent honteux s'en est allé
sur une longue caresse. 

                                                    




 Anne Dupin
30 nov1954






Ta grand mère, jeune maman, avec Philippe sur ses genoux et Alain avec le chaton noir et blanc. On est en 1952. Je suis pour ma part encore dans les choux.
Toi, tu ne connais qu'une vieille femme plutôt rigide, une femme endurcie par une vie qu'elle a porté à bout de bras, seule, comme un homme, sans en avoir les avantages, à une époque où une femme divorcée était considérée comme une honte pour la famille et la société.
Elle avait le goût du Beau, l'amour de l'Art pour seul refuge, l'Esprit pour seule lumière. 
C'est elle qui m'a transmis une part de ce que je suis.