jeudi 25 août 2022

 

 

MISE AU NET

(extraits)

 

 

 

Lotte Laserstein

 

 

 

Entendus avec l'âme,

des pas de l'esprit plutôt qu'ombres,

et ombres de l'esprit plutôt que pas,

le long d'un chemin d'échos

que la mémoire invente, puis efface.

 

... 

 

Là, au-dedans, l'espace

est une main ouverte et un front 

qui ne pense pas des idées,  

mais des formes qui respirent,

cheminent, parlent, changent,

et qui silencieusement s'évaporent.

 

Là, au-dedans, pays d'échos entretissés,

se précipite la lumière, lente cascade,

entre les lèvres des crevasses,

la lumière est eau, l'eau temps diaphane

où les yeux lavent leurs images.


Octavio Paz

"Le feu de chaque jour" 

 

 

 

 

  

 

 

PLEIN  FEU

(extrait)

 

 

Gustav Klimt

 

 

 

 

Ôte à la nuit ses longs gants noirs

Mets la pierre sur ta mémoire

Ton pied sur la blancheur des os

Détourne-toi de ce sommeil

Lève haut ta lampe et réveille

Les arbres d'encre et leurs oiseaux  

 

 

 

Aragon

"Poésies"  

 

 

 

jeudi 7 juillet 2022

 

 

AINSI

 

 

Alexandro Boticelli


 

 

Ainsi marcherons-nous

sur les ruines d'un ciel immense,

Le site au loin s'accomplira

comme un destin dans la vive lumière

Le pays le plus beau longtemps cherché

s'étendra devant nous

terre des salamandres.

 

Regarde, diras-tu, cette pierre:

Elle porte la présence de la mort.

Lampe secrète

C'est elle qui brûle sous nos gestes,

ainsi marchons-nous éclairés.

 

                                            Yves Bonnefoy

                                               Poèmes

                                            "L'orangerie"

 

 

 

 

  

 

 

LES JARDINS

 

 

Valentin Serov

 

 

 

Tu as vu la jeune fille qui vient de la mer

Elle porte dans ses cheveux les roses d'Alexandrie

Elle marche dans la rue la plus nocturne

Il n'y a pas plus d'étoiles qu'au premier jour du monde

Mais tu penses que si tu devais la suivre   

Tu habiterais les feuillages de la mer

C'est par les jardins que commencent les songes de folie

 

...

 

 

                                            Georges Schehadé

                                          Poésie I-VI

                                          (extrait)

 

 

 

  

 

 

CHAQUE ÉTÉ

 

 

Egon Scheile






Chaque été il y aura donc pour moi
une nouvelle mélancolie
et je vous aime comme ce que je vous dis 
pour un cheval blanc comme l'hiver
les brises se dépouillent des rosées
et les oiseaux meurent des blessures de la mer
 
...
 
 
 
                                      Georges Schehadé
                                    Poésie I
                                   (extrait)
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

L'OEIL (1)

 

 

Malcolm T. Liepke

 

 

 

J'ai vu

gravé dans le galet le voyage de l'eau

l'empreinte de l'écaille au dos des récifs

l'œil rond des profondeurs

le sel des sables figé au pied des falaises 

 

 

                 shg 

                                " le miroir entrouvert" 

                                                  (extrait)

 

 

 

 

L'OEIL (2)

 

 

M.T.Liepke 

 

 

 

 

J'ai lu

sur les lèvres du vent la complainte des vagues 

l'emprise de la lune au front des océans

l'œil ouvert sur nos nuits

et l'usure de la pierre au pied des montagnes

 

j'attends le retour du temps

qui mêle à la poussière des étoiles

la cendre de nos os. 

 

                      shg

                              "le miroir entrouvert"

                                                        (extrait)   

 

 

       

lundi 27 juin 2022


A VINGT ANS

 

 

 

Hoppe Gangloffe



 



 A vingt ans c'est un tremblement

de voir ses yeux dans l'eau des femmes

la chambre a la parure de la mer 

comme deux oiseaux qui volent

 ensemble s'écrasent

du silence dangereux des nids

la nuit a mêlé nos âges

O mélodie de la pierre des îles

 

 

                                            Georges Schehadé

                                                 "les poésies" 

 

 

 

 


lundi 20 juin 2022

 

 

CORDAGES

 

 

Ron  Hicks


 

 Les grandes sources de lumière du printemps

se sont ouvertes ce matin.

les hirondelles éclatent 

comme des larmes insoupsonnées

et s'évanouissent comme des cris de joie.


Les rires des choses en rumeur,

je les sens au fond de mes orbites,

et voici les grosses larmes lentes du printemps,

les grands pétales spectraux dans la lumière douce

comme une main chargée de calme.



Gabriel Roure

"Feux de position"

(extrait)

 

 

 

 

dimanche 8 mai 2022

 

 

À  CLAIRET 



Aldo  Balding



Le choc de la lumière

Les portiques de l'air

Le soleil grelottant

Dieu doit s'ennuyer


Douces courbes

La brise les brise

Seins ou nuages?

Frimas et verglas

s'effeuillent dans les veines


Colonnes infinies

Je suis las d'être moi.



Gabriel Roure

"Feux de position

et autres poèmes"

 

 

 

 

mardi 3 mai 2022

 

 

LE  BATEAU  IVRE      (extrait 2) 

 

 

John Singer Sargent  (détail)


 

 

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies

baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

la circulation des sèves inouïes,

et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!

 

Arthur Rimbaud

 

 

  




 

 

LE  BATEAU  IVRE   (extrait 1) 

 

 

Ferdinand Hodler   (détail)


 

 

Je sais les cieux crevants en éclairs, et les trombes,

et les ressacs et les courants, je sais le soir,

l'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,

et j'ai vu quelque fois ce que l'homme a cru voir.

 

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,

illuminant de longs filaments violets

pareil à des acteurs de drames très antiques  

des flots roulants au loin leurs frissons de volets!

 

 

Arthur Rimbaud

 

 

 

 

 

 

J'AI VU REVENIR LES CHOSES...

 

 

Lucian Freud

 

 

J'ai vu revenir les choses de l'année dernière:

l'orage, le printemps et les lilas flétris,

et j'ai bu du vin blanc dans le noir presbytère.

Et mon âme est toujours terrible, douce et triste.

 

Francis James

"Le deuil des primevères"

 

 

 

 

 

dimanche 24 avril 2022

 

 

NUIT  RHÉNANE

 

 

Edward Burne Jones


 

Mon verre est plein d'un vin trembleur

comme une flamme

Écoutez la chanson lente d'un batelier

qui raconte avoir vu sous la lune

sept femmes

tordre leurs cheveux verts et longs

jusqu'à leurs pieds


Debout chantez plus haut

en dansant une ronde

que je n'entende plus le chant du batelier

et mettez près de moi 

toutes les filles blondes

au regard immobile, aux nattes repliées


Le Rhin, le Rhin est ivre 

où les vignes se mirent

tout l'or du monde tombe en tremblant

s'y refléter

la voix chante toujours à en râle-mourir

ces filles aux cheveux verts

qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat

de rire



Guillaume Apollinaire

"Alcools" 

 

 

 

 

lundi 4 avril 2022

 

LES EAUX DU PASSÉ

 

       Carol Peace   

 

 

 

 

Navigant sur les eaux du passé

face au ciel aplati sur l'horizon mat

des jours piégés au creux des jours

Navigant sur les plaies du silence 

dans une écume d'avenirs

éparpillés au vents

Portant aux lèvres ces embruns d'espoirs

avec leur goût de sels amers

Emporté vers ces ciels agrandis de vide

lieux-dits de dieux éteints depuis longtemps

J'ai habité des paysages où était ma place

sans qu'on puisse m'y rejoindre

et j'ai vécu la-bas 

dans un temps sans mesure



                                         shg

 

 

 

 

dimanche 27 mars 2022

 

 

SILENCE

 

 

Malcolm T. Liepke

 

 

 

Dans cette forme de silence où s'égoutte le temps

flotte entre les mots le goût d'amers espoirs.

Le reflux des marées berce à l'ombre du jour

un chant de sirène qui ferait croire au rêve.

Comme en attente dans la nuit attendrie

de ces rumeurs attachées au arbres indolents

que le vent agite pour faire peur aux vivants.

 

                                                          shg 

                                 "Le miroir entrouvert"

 

 

 

 

 

dimanche 20 mars 2022

 

 

LA VAGUE

 

 


 

 

 

Si un jour suffisait 

ma nuit l'emporterait

et la vague en retour

m'apporterait secours

Et le vent tairait

les mots distraits

que sont ceux de l'amour

Et le vent crierait

les mots cruels

que sont ceux ordinaires 

de nos jours

 

 shg

 

 

 

 

 

mercredi 9 mars 2022

 

 

L'ORDRE LÉGITIME EST

QUELQUEFOIS INHUMAIN

 

 

 

Dan Corbin

 


 

 

 

Ceux qui partagent leurs souvenirs

La solitude les reprend, aussitôt fait silence,

L'herbe qui les frôle éclôt de leur fidélité

 

Que disais-tu?

Tu me parlais d'un amour si lointain

Qu'il rejoignait ton enfance.

Tant de stratagèmes

s'emploient dans la mémoire!

 

                               René Char

                                             "Fureur et mystère"

                                                            (extrait)

 

 

 

  

 

 

LE CORPS

 

Frederico Infante

 

 

 

Encore frissonnant sous la peau des ténèbres

tous les matins je dois recomposer un homme

avec tout ce mélange de mes jours précédents

et le peu qui me reste de mes jours à venir.

Me voici tout entier, je vais vers la fenêtre.

Lumière de ce jour, je viens du fond des temps,

respecte avec douceur mes minutes obscures,

épargne encore un peu ce que j'ai de nocturne

d'étoilé en dedans et de près à mourir 

sous le soleil montant qui ne sait que grandir.

 

                                              Jules Supervielle

                                                     "La Fable du Monde"

                                                                           (extrait)  

 

 

 

 

 

mardi 1 mars 2022

 

 

VOYAGE

 

 

Ron  Hicks

 

 

 

 Ni l'eau ni le vent

navigateurs insouciants

ne suffiront à distraire

mon ivresse du moment.

Le voyage attend 

le rivage des prières.

À l'amarre du temps 

j'irai à pas lents.


                                      shg