samedi 31 janvier 2015








Solitude dans la neige








Ugo Rondinone






Mon cœur écorché saigne d'ennui
Mon âme esseulée pleure
O détresse de mes nuits
Tant de neige déroulée en blanc désert
Cruelle beauté, implacable frontière
Amertume de ma jeunesse emmurée
Cloîtrée vivante et palpitante
Sous la pesante blancheur Dans un ténébreux oubli
Et la solitude des heures.
Les draps de neige de ma couche
Et mes rêves m'ont brûlée
Ah que le silence est froid suaire
Et la neige douloureuse et vaine lumière.
                                     






Anne Dupin
 Le Briou
24 février 1963




 



Voilà Le Briou, grand corps de ferme (44 m de long ) cachant deux autres corps de granges 
disposées en U et délimitant une cour intérieure fermée par un mur et
un grand portail sur le quatrième côté,  entourée de 17 hectares de terres agricoles.
C'est dans cette maison que Granie à 41 ans passa seule son premier hiver en Val de Loire 
avec ses quatre garçons.
























jeudi 29 janvier 2015




Spleen et idéal
  





Dessin à la plume et encre de Chine                                      shg







                              Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
                  Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
      Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
                   Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
                     J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes;
            Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
      Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.




 

Charles Baudelaire
"Les fleurs du Mal"
(extrait) La Beauté

 
 
                                                                                              















 

mercredi 28 janvier 2015








Le chemin retrouvé. 






Isabelle Bercée Di-Puglia







Tout le peuple animal
le sang de la nature
l'arc en ciel des saisons
et le voilage léger
des printemps en bourgeons
Une lumière acide
au collier des étés
et l'édredon laineux
des mois au sang glacé
Le mufle du gros chien
l'amour et la parole
en ses yeux de bonté

L'aile de l'oiseau
ouvrant l'air en un vaste vantail
où l'on se sent convié
L'alouette en à pic
ainsi qu'une araignée
surplombant le labeur 
des hommes forcenés
et son ramage rieur
et sa grande amitié
La fleur au ruban des fossés
l'ivresse des couleurs

Dans la geôle du cœur
plus de sérénité.







Anne Dupin
juillet 1965
 
                                   
                                               











mardi 27 janvier 2015



Les dieux


  s'ils existent,
sont ils obligatoires?







Ces mêmes dieux, 
s'ils existent,
 se cachent-ils au ciel?
Le Diable, lui,
est certainement sur terre.
Se cacherai-t-il dans l'homme?

Super jeu vidéo !










lundi 26 janvier 2015









Le Jugement Dernier 







"Le jugement dernier" (détail)                                                 Michel Ange




L'échelle arcboutée au flanc dur de la terre
cintrant le rebord souple de la nuit
si près des hublots clairs
d'incommensurables galaxies.

Mon pied nu,
anémone sacrée,
dévore une à une les barres multipliées,
tendues de lune.
Le phare de ses prunelles
tourmente les étoiles
dans l'ondoiement de ses voiles.
Je me hisse et brusquement chancelle
ivre de démesure cosmique.

Je tournoie, je dérive,
plume vive, 
arête joyeuse,
au jeu des nébuleuses.
Je m'enroule et dévale
l'infinie pente sidérale,
plaquée aux vitres froides de la bise.

Dans l'océan profond et bleu
de l'impalpable nuit
des astres se brisent épanouis
en fleurs de feu.




Anne Dupin 
"Songe " 
15 mars 1965










jeudi 22 janvier 2015




Rien n'existe...

                                         

photo N&B                                                                         shg.





Rien n'existe,
les mots le prouvent.

Tout existe,
les mots le prouvent
aussi.

Alors,
tout est dit.

                               shg



























lundi 19 janvier 2015

Jean Pierre Desclozeaux











    Au sortir d'une sombre nuit
    Avant que le jour ne se lève
    J'ai mis dans mes mains
    Un mot.
    Je l'ai porté jusqu'à la  falaise
    Haute comme une nouvelle journée.
    J'ai lancé ce mot dans le ciel,
    Me suis assis
    Et l'ai longtemps regardé.
    Je suis rentré apaisé.
                                                  



                                                             shg.

























samedi 17 janvier 2015





Existe-t-il un écrit qui ne soit pas un cri ?










"La terre a des odeurs.
Le soleil s'est plaint au Bon Dieu!
Seigneur, je veux m'éteindre.
J'en ai plein le dos de cette pourriture.
Plus je la réchauffe, plus elle pue.
Elle salit le bout de mes rayons.
Malheur! dit le soleil.
Ma belle chevelure d'or
trempe dans le merde."


Jean Paul Sartre.
"Le Diable et le Bon Dieu"





 













mardi 13 janvier 2015






    Le miroir trompeur









Oie du Japon                          peinture Sumie (artiste inconnu)                                 1964










Verte branche
vierge de rythme et d'oiseau.

Echo de sanglot
sans douleur ni lèvres.
Homme et forêt.

Je pleure
face aux flots amers
et dans mes prunelles
chantent deux mers.

                      




 F. Garcia Lorca








                             Quand passe l'Ange, 
le Diable n'est pas loin qui le suit.
                             Quand il assassine le poète, 
le tyran crie victoire.
                             Mais le poète est immortel    
                             Quand le tyran tombe dans l'oubli.                                                                           



shg.


























dimanche 11 janvier 2015





La beauté de son cœur
 




art de la rue                                                     Sauve 2013



Celui dont nous t'offrons l'image,
Et dont l'Art, subtil entre tous,
Nous enseigne de rire de nous,
Celui-là,  lecteur,  est un sage.

C'est un satirique, un moqueur;
Mais l'énergie avec laquelle
Il peint le Mal et sa séquelle,
Prouve la beauté de son coeur.
...





de Ch. Baudelaire
vers pour le portrait de Honoré Daumier
                                






Si j'étais Poète, je chanterais
qu'il n'y a pas de dieux,
que l'homme se mesure
à ce qu'il fait de sa solitude
et de ses incertitudes.
Je chanterais que trop souvent
derrière les idées qu'il s'invente
se cachent trop souvent,
à la fin, des assassins.
                                                  





 shg











mercredi 7 janvier 2015



Si les dieux existent
ils ont raison de ne pas se montrer
ils ne peuvent qu'avoir honte


en tout cas mourir pour sa liberté
est grand
donner la mort par vengeance
est petit








Laissez le balcon ouvert...                                                                     shg







Si je meurs, laissez le balcon ouvert.
L'enfant mange des oranges,
de mon balcon je le vois.
Le moissonneur fauche le blé,
de mon balcon je l'entends.
Si je meurs, laissez le balcon ouvert.



On a laissé le balcon ouvert
et à l'aube, par le balcon,
tout le ciel s'est jeté.

                                                 



 F. Garcìa Lorca





























La grande solitude





"La Grande Solitude"                 Gravure sur zinc (3 tirages)         shg












                                À la lisière des yeux                                
sont d'ineffables sources
d'où s'écoulent nos rêves
qui, éperdument s'égarent
 dans les marées du temps.

D'une main je dessine
de l'autre je me cache
derrière la forêt.
                                    
                                         



shg


























dimanche 4 janvier 2015




Sous le regard de l'Ange




"Sous le regard de l'Ange"                                                            shg







"...devenir tout entier regard et si intensément
qu'à la fin et pour le combler,
là-bas un Ange vienne,
comme acteur, qui remette debout les pantins.
Ange et poupée, voilà enfin qui est spectacle! "

                                                                      



 R.M.Rilke
4ème élégie de Duino
(extrait)















jeudi 1 janvier 2015








À ma fille






 Ah, les ponts d'aujourd'hui sur les chemins du temps.

La Poterie, 30 novembre 1954,
une grande maison où je suis né,
 en Normandie 
Granie avait 32 ans, moi 22 mois
elle y vivait seule la plupart du temps.
Ce poème est le plus ancien
que je lui connaisse.



Vent d'hiver


Vent d'hiver, vent de misère
cesseras-tu d'assiéger ma maison
de tourmenter ma raison
de me tenir en éveil.

Trois jours durant et trois longues nuits
tu nous as torturées
moi et la vieille demeure aimée.
Accordes nous quelque répit.
Tu nous as tant lassées.

Tes bousculades sur mon toit
arrachant les tuiles brunies
et les mousses que le temps a tissées
avec des graines et de la pluie.

Tes bourrades font gémir
la charpente deux fois centenaire
et moi je veille en prière
pour que le chêne vermoulu
résiste aux attaques tortionnaires
de ce dément qui n'entend plus.

Pourquoi frapper, pourquoi faire peur
comme un homme qui a trop bu
aux volets de ma demeure
aux portes closes, aux carreaux nus.

Le portail rouillé geint dans ses gonds
pousse sa plainte le tout premier
et toute la bâtisse lui répond.
Moi je suis la course forcenée
et j'écoute pleurer ma maison.

Ailleurs c'est la lutte dans les branches violentées
de la longue file des peupliers
et je devine là bas dans le jardin mouillé
les pleurs des plantes effarouchées.

La chienne a fait le tour de la pelouse
afin de retrouver son petit.
Je n'entends plus sous ma fenêtre
son long soupir de bête jalouse
de n'être point près de mon lit.

Comme je pensais avec tendresse
à tous ceux sur lesquels je règne,
enfants, bêtes et plantes de mon domaine
le vent honteux s'en est allé
sur une longue caresse. 

                                                    




 Anne Dupin
30 nov1954






Ta grand mère, jeune maman, avec Philippe sur ses genoux et Alain avec le chaton noir et blanc. On est en 1952. Je suis pour ma part encore dans les choux.
Toi, tu ne connais qu'une vieille femme plutôt rigide, une femme endurcie par une vie qu'elle a porté à bout de bras, seule, comme un homme, sans en avoir les avantages, à une époque où une femme divorcée était considérée comme une honte pour la famille et la société.
Elle avait le goût du Beau, l'amour de l'Art pour seul refuge, l'Esprit pour seule lumière. 
C'est elle qui m'a transmis une part de ce que je suis.